samedi 28 avril 2012

Frissons d'outre-tombe

La maison de production Amicus tient, dans l'histoire du cinéma britannique, la place de la petite sœur de la Hammer : moins connue, moins réputée, arrivée plus tard... Mais, la principale différence est résumée par un simple nom : Terence Fisher. En effet, les productions Amicus voit défiler un bon nombre de faiseurs de bonne tenue, parfois également attachés à la Hammer : Gordon Flemyng, le prolifique Freddie Francis, Roy Ward Baker, voire l'excellent et méconnu Seth Holt. Mais pas de Fisher. Pas de réécriture révolutionnaire du corpus du fantastique et de l'horreur, pas ou peu de vision de mise en scène – pas de génie, en somme.

Et, effectivement, ce n'est pas du transcendant – et trangressif – génie de Fisher qu'il sera question ici, mais du plus modeste artisanat de Kevin Connor. Réalisateur principalement attaché à la Amicus avant d'aller voir à la télévision s'il y était, Kevin Connor est surtout connu pour des serial d'aventure aux titres « continentaux » interchangeables : Le Sixième Continent, Centre terre, septième continent et Le Continent oublié. Sans beaucoup de personnalité, le réalisateur remplit dans ces productions commerciales des années 1970 le cahier des charges nécessaire à renflouer la Amicus. Drôles et sympathiques mais sans identité, ces films sont bien vite oubliés.


Et pourtant : le premier film de Kevin Connor est d'une tout autre nature. En 1973, alors que les ors de la Hammer, qui peine à se renouveler, pâlissent, la Amicus va sortir un film à sketches, comme elle en a déjà l'habitude (chercher, à cet égard, l'amusant Jardin des tortures de Freddie Francis (1967)) : Frissons d'outre-tombe (From Beyond the Grave). Pour assurer le liant, nous nous retrouvons en présence d'un Peter Cushing souffreteux en antiquaire dont l'échoppe, sise dans une impasse, ne doit guère ses clients qu'au hasard. De plus, il n'apprécie guère qu'on tente de l'arnaquer, mais ne se prive pas d'en donner l'occasion à ses clients : gare, pourtant, à ceux qui auront cette audace (on se rend compte, à cette occasion, que le diabolique protagoniste du Bazaar de l'épouvante de Stephen King doit sans doute beaucoup au personnage interprété par Cushing).

"Temptations LIMITED" ? Allons, monsieur Cushing, vous voulez rire !

Chaque client donne donc lieu à une historiette : un exercice qui, le plus souvent, laisse surnager un ou deux segments, au détriment d'autres, plus faibles. La Quatrième Dimension, le film ne vaut ainsi que pour le segment réalisé par Joe Dante, les Creepshow de King et Romero sont diversement réussis, tandis que les tardifs Contes de la nuit noire sont intégralement d'une consternante platitude. Or, ici, nul segment ne surnage : tous sont d'égale qualité, avec, en commun, un sens de l'humour redoutable, très noir et sans le moindre pitié pour ses personnages. Scénaristes et réalisateur prennent, semble-t-il, autant de plaisir à tourmenter les clients indélicats que l'antiquaire diabolique Peter Cushing.

Pour qui connaît quelque le style de Kevin Connor, la forme est également une surprise : à la manière de Bava dans Les Trois Visages de la peur, le réalisateur change de style avec chaque récit : on passe ainsi d'une rêche comédie de mœurs urbaine à un pur giallo, d'une comédie grotesque à un style paranoïaque perturbant. Voilà qui a dû susciter les espoirs de nombreux spectateurs, à l'époque – en vain.

Les Pleasance père et fille, toujours prêts à rendre service...

Frissons d'outre-tombe bénéficie également d'une distribution de choix : si David Warner, dans le premier segment, ne surprend guère, le couple formé par Donald Pleasance et sa fille Angela est tout à fait inquiétant. Margaret Leighton compose une spirite totalement délirante, tandis que Ian Ogilvy donne la réplique à une Lesley-Anne Down à laquelle l'esthétique giallo offre quelques très beaux plans (dont elle sera privée dans la suite de sa carrière, qui la voit cachetonner dans Amour, gloire et beauté).

Lesley-Anne Down

Dans l'ensemble, les historiettes de Frissons d'outre-tombe évoquent La Quatrième Dimension de Rod Serling, autant par la qualité de ses scripts que par la sécheresse de ses conclusions, rarement en faveur des protagonistes. Cependant, le film de Kevin Connor dépasse beaucoup d'épisodes de la série de Rod Serling par son savant agencement de grotesque et d'élégance, et surtout son attachement à un fantastique très européen (et très anglais !), charnel et ironique, là où La Quatrième Dimension affichait surtout une préférence pour une SF plus froide.

Le film a subi sans trop de dommages le passage du temps, grâce, certainement, à un casting de grande qualité, à la méchanceté réjouissante, et aux intuitions de mise en scène de Kevin Connor. Que ces intuitions ne se soient guère confirmées par la suite ne devra pourtant pas condamner Frissons d'outre-tombe à l'oubli. (Re)Découvrir le film est un plaisir dont il serait dommage de se priver.

Lire aussi : La critique des Contes de la nuit noire

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